Amis blogueurs, bonsoir !
Un échange récent avec notre ami Bernard Devynck m'a conduit à reprendre encore et encore l'enquête sur la famille Piault.
Voici un extrait de son message :
"Comme tu l'indiques, Jules Piault dépose un rapport de présentation du 21 mars 1883 à la chambre de commerce de Paris, contre l'importation de produits frauduleux estampillés "PARIS" ou portant la mention "parisien". Ceci lui vaut-il reconnaissance, pour une nomination de Chevalier de légion d'honneur en septembre 1883, c'est ce que j'ai retrouvé sur le site www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr et plusieurs éléments constitutifs de cette nomination émanant de Jules Piault, fabricant de coutellerie à Paris [notamment celui] qui statue et acte sa date de naissance : né le 17 mars 1828 de parents, François Piault, coutelier et de Rose Denichère.
Donc toujours incertitude sur sa date de décès, mais une autre proposition de naissance.
Peux-tu vérifier la source de ta date du 4 octobre 1824 ?"
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Vérifier la date du 4 octobre 1824
De fait, Bernard Devynck touche du doigt un problème : deux couteliers contemporains tous deux nommés Jules Piault Jules, sans autre prénom, sont nés à Châtellerault, l'un en 1824, l'autre en 1828.
A partir de là, tout s'embrouille : celui qui a commercialisé le tire-bouchon à hélice marqué "PARIS J.C.P." n'est pas le bon !
Dans son Dictionnaire du tire-bouchon français, Gérard Bidault écrit à propos de Jules Piault :
"Ancienne maison de coutellerie qui possède des ateliers de fabrication à Langres et à Nogent-en-Bassigny, mais le principal se trouve à Châtellerault. Elle possède également depuis 1820, un magasin de vente parisien, 18 rue Greneta.
Lorsque ce descendant reprend l'activité en 1860, la maison va développer une solide réputation pour la qualité de sa production. Il a déposé le sigle "J.P" dans un cercle surmonté d'une couronne.
Le seul modèle de tire-bouchon connu de cette maison est un modèle à hélice, marqué à son nom, avec la mention "Breveté", dont la fabrication était certainement sous-traitée.
Il va exercer par la suite avec son fils qui marquera ce modèle hélice de son sigle "J.C.P." et au dos "Paris" où il tient magasin et fabrique 68 rue de Turbigo;
Il décède à Rochefort-sur-Mer en 1878."
... et je lui ai emboîté le pas ! Mais nous nous trompions tous les deux et les imprécisions et erreurs des sites généalogiques ne nous ont pas aidés !
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Le premier Jules Piault
Le premier Jules Piault est né le 4 octobre 1824 à Châtellerault (Vienne), fils de Jacques Piault, coutelier, et Marie Pagé, elle-même issue d'une famille châtelleraudaise de couteliers.
[Pagé ? Comment ne pas penser ici à un autre châtelleraudais, Camille Pagé, l'auteur de "La Coutellerie depuis l'origine jusqu'à nos jours", ouvrage consulté pour le présent article].
Ce Jules Piault s'est marié en 1848 avec Adèle (ou Adélaïde) Daillé (1829-1902) et en a eu trois enfants :
- Adelson (1850- vers 1930), qui sera voyageur de commerce,
- Juliette Marie (1857-1936), sans profession, qui épousera un menuisier,
- Eugène Charles (1860-1942), horloger de formation, qui s'engagera comme armurier dans l'armée de 1879 à 1900.
J'écrivais dans un précédent article que, selon Gérard Bidault, le marquage "J.C.P." de l'hélice Piault, datait de la période ou Jules Piault avait associé son fils Eugène "Charles", "J.C.P." correspondant donc à Jules et Charles Piault.
J'ajoutais que cette période d’association entre Jules et Charles Piault - si elle avait existé - avait forcément été très courte, puisque Charles, né en 1860, s’était engagé dans l'armée dès 1879... d'autant que son père était décédé à Rochefort en 1878, selon Gérard Bidault !
Mais cette dernière date n'était pas non plus la bonne. J'ai fini par retrouver les curieuses circonstances du décès de Jules Piault : il a été trouvé mort sous un pont, dans la commune d’Yves, Charente inférieure, le 29 novembre 1866, et a d’abord été enregistré comme inconnu. Un acte rectificatif a établi son identité six mois plus tard, le 2 avril 1867.
Acte de décès de Jules Piault
rectifié par jugement du tribunal civil de Rochefort
Cette disparition de Jules Piault en 1866 modifie quelque peu l'analyse :
- 1866, c'est dix ans avant l'invention du tire-bouchon à hélice... ce Jules Piault là ne pouvait pas en avoir passé commande à Jacques Pérille !
- Ce n'est non plus lui qui aurait pu présenter un rapport à la Chambre de Commerce de Paris en 1883 !
- En 1866, ses enfants devenus orphelins ont respectivement 16, 9 et 6 ans !
- Le benjamin, Eugène Charles, ne deviendra pas coutelier : il ne commencera sa formation d’horloger que des années plus tard, avant de s'engager dans l’armée à 19 ans.
- Evidemment, Jules Piault là ne pouvait pas non plus être associé à Louis Leroy, repreneur de l'entreprise éponyme, en 1885.
Conclusion : ce n'est pas le bon Jules Piault !
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Le second Jules Piault
Le second Jules Piault, ou "Piault fils", est né le 17 mars 1828, également à Châtellerault, de François Piault, coutelier, et de Rose Denichère.
Il épouse à Paris, en 1859, Jeanne Elisa Nivoit (1837-1918), laquelle accouchera d'un enfant sans vie en 1860. Le couple n'aura pas d'autre enfant.
Héritier d'une grande famille de couteliers ayant des ateliers à Langres, Nogent-en-Bassigny et Châtellerault, Jules Piault succède à son père, fondateur de l'entreprise en 1830 et en prend les rênes en 1865, avec fabrique au 68 rue de Turbigo et magasin au 18 rue Greneta à Paris. Ses fabrications, services et orfèvrerie de table notamment, sont très appréciées d'une clientèle fortunée.
La marque de fabrique est d'abord composée d'un ovale marqué au nom et à l'adresse de l'entreprise et entourant les initiales J.P surmontées d'une couronne royale :
Cette marque a évolué ensuite pour devenir :
- un cercle dentelé, entourant la couronne royale, laquelle rappelle que "Piault père" avait été fournisseur de la Cour avant le Second Empire,
- les initiales de "Piault fils", "J.P.",
- et la mention "Bté S.G.D.G." (mention légale établie en 1844).
Nous ne reviendrons pas sur la paternité du tire-bouchon à hélice "J.C.P." que nous attribuons à Jacques Pérille... un Jacques Pérille qui devra se distinguer de ce marquage, mais s'en est peut-être inspiré !
Rien d'étonnant à une telle commande : le grand coutelier Jules Piault "Fils" et l'inventif fabricant d'acier poli Jacques Pérille sont contemporains et se connaissent :
- tous deux participent ainsi à l'exposition universelle de Paris en 1878, ... en même d'ailleurs qu'un certain Louis Eugène Trébutien !
- ils se retrouvent aussi en 1883 pour représenter la France à l'exposition internationale d'Amsterdam :
Catalogue officiel de l'exposition internationale, coloniale et d'exportation générale
d'Amsterdam, 1883
Jules Piault œuvre pour la protection de la production française et est l'auteur d'un rapport présenté le 21 mars 1883 à la Chambre de Commerce de Paris contre l'importation de produits frauduleux estampillés "PARIS" ou portant la mention "... parisien". On l'imagine donc mal copiant ou faisant copier par un autre l'invention de Jacques Pérille.
Ses mérites sont reconnus par une nomination de Chevalier de la Légion d'honneur en septembre 1883. Ces éléments ont été retrouvés par Bernard Devynck sur le site www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr.
Etat des services rendus par Jules Piault
Et, vers 1885, Jules Piault, faute d'avoir un héritier, s'associe à son futur repreneur, Louis Leroy.
Le Panthéon de l'industrie : journal hebdomadaire illustré 01.01.1895
En 1910, l'entreprise passera aux mains de Robert Linzeler.
Jules Piault, dit "Piault fils", meurt en 1916.
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C'est en tout cas pour ce Jules Piault là, dit "Piault fils", coutelier, et non pas pour son homonyme également coutelier, que Jacques Pérille a fabriqué un tire-bouchon à hélice marqué J.P ou J.C.P sous une couronne dans un cercle dentelé.
Marquage J.P
Les tire-bouchons français Gérard Bidault
Deux questions demeurent :
Comment dater la fabrication ? Le créneau est finalement plus ouvert que nous le pensions :
- dans tous les cas, cette fabrication intervient entre le dépôt de brevet par Pérille en 1877 et l'association Piault-Leroy en 1885,
- et très probablement entre le dépôt par Pérille de ses marques de fabrique en 1879 et le rapport de Piault présenté en 1883, période pendant laquelle le premier va perdre son procès en contrefaçon intenté à Trébutien.
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A qui correspond le "C" du marquage "J.C.P." ?
Gérard Bidault pensait que ce sigle datait de la période où Jules Piault avait associé son fils Charles, et que "J.C.P." correspondait donc à Jules et Charles Piault. Mais on voit bien que c'est impossible : Eugène "Charles" Piault est le fils de l'autre Jules Piault, et Jules Piault dit "Piault fils" n'a pas eu de descendance, alors ?
Nos recherches sur le site de l'I.N.P.I. ne nous ont pas permis de retrouver le dépôt de marque de fabrique "J.P à la couronne" de Jules Piault, ni celui "JHP au compas" de Jacques Pérille... mais ces marques ont-elles été déposées ?
Lionel Belhacène rappelle que "J et P", c'est aussi Jacques Pérille et se demande s'il ne faut pas voir ici un premier marquage (jusqu'à l'exposition) avec toujours ce "C" qui reste inexpliqué ?
L'idée est intéressante et... sortirait Jules Piault du jeu !
Nous nous arrêterons sur ces questionnements !
Merci à François, Lionel et Bernard pour leurs contributions.
M